Roosevelt reste dans l’histoire comme ayant réussi à sortir les États-Unis de la Grande Dépression. Pour cela, il communique afin de répondre aux inquiétudes des américains et modifie la politique économique. Son but ? Briser le cercle vicieux dans lequel le pessimisme amplifie la récession. Ce billet tire les leçons de cette stratégie pour la crise actuelle, même si les crises sont différentes.
Quand Roosevelt devient président le 4 mars 1933, une vague de panique bancaire a commencé depuis un mois. Les États-Unis sont en dépression depuis 1929 et le système bancaire a souffert de nombreuses et récurrentes ruées bancaires. Le taux de chômage atteint 25 % (graphique 1). Les faillites s’enchaînent depuis octobre 1929 et le financement de l’économie est à l’arrêt. Les prix baissent de plus de 10% par an, de même que l’emploi et les revenus, ce qui augmente le poids du remboursement des dettes dans le revenu des agents.
Roosevelt inverse la tendance. La reprise est immédiate et vigoureuse. Les anticipations d’inflation sont mieux orientées. Le taux de chômage baisse d’un tiers et l’inflation devient à nouveau positive. Alors que toutes les politiques ont échoué à redresser la situation avant 1933, celle de Roosevelt y réussit en quelques semaines.
Pourquoi ? Qu’est-ce que Roosevelt a changé ? Quelles leçons tirer en matière de gestion de crise économique ?
L’économie nous enseigne que la récession se transforme en dépression quand des anticipations pessimistes s’auto-entretiennent. Le mécanisme est connu depuis Keynes : les agents anticipent une baisse des prix, chacun trouve donc rationnel de reporter ses dépenses, entretenant ainsi la réduction de la demande globale et donc une baisse supplémentaire des prix.
L’histoire nous enseigne que les dépressions ne viennent pas de l’inaction des pouvoirs publics mais d’erreurs de politique économique et de l’incertitude sur les politiques publiques futures. Jusqu’en 1932, les débats font rage et les experts sont divisés sur les remèdes. Le président Hoover lutte contre la baisse des prix par des lois favorisant la cartellisation et les ententes entre producteurs. Mais, comme Milton Friedman et Anna Schwartz l’ont montré pour la banque centrale, chacun était prisonnier de ses croyances. Par exemple, s’appuyant sur la doctrine des effets réels (« real bills ») et la nécessité perçue de défendre la convertibilité en or du dollar, la Fed remonte son taux directeur à l’automne 1931. Ce resserrement déclenche une nouvelle vague de faillites qui réduisent la masse monétaire et l’offre de crédit des banques.
Ce double héritage keynésien et friedmanien dessine les trois écueils que Roosevelt a su contourner en son temps : (i) les doutes sur la solidité du secteur bancaire qui sont la cause première de la récession ; (ii) le caractère auto-entretenu de la dépression et (iii) l’incertitude sur les politiques économiques futures.
Roosevelt propose des mesures concrètes et crédibles pour assurer la solidité des banques, adopte une communication directe et réoriente le policy-mix.
Pour stopper la panique bancaire, il agit vite. Le 6 mars il décrète la fermeture des banques pour quatre jours. Le Congrès vote une loi le 9 mars définissant les règles de réouverture graduelle. Cette loi autorise la banque centrale à fournir aux banques autant de monnaie qu’elles détiennent d’actifs de bonne qualité à leur bilan.
Il communique avec le public lors de « conversations au coin du feu », une intervention radiophonique régulière détaillant concrètement les décisions prises et expliquant chacune des orientations choisies. Ainsi, le 12 mars 1933 sa première intervention justifie pourquoi il a décidé de fermer des banques : « nous ne voulons pas d’une autre épidémie de faillites bancaires ». Il explique ensuite quand et comment les banques seront ré-ouvertes graduellement. Ses autres interventions portent sur les politiques budgétaire et monétaire.
Cette politique de communication directe apaise les inquiétudes relatives à la situation du système bancaire. Elle fournit par la suite une orientation prospective –forward guidance– à la politique économique, de nature à sortir de la dépression et à remettre l’inflation en territoire positif. Les résultats sont immédiats : Jalil et Rua (2016) montrent que cette communication a lancé le débat public sur l’inflation (graphique 2) et a augmenté les anticipations d’inflation.
Note : Le nombre d’occurrences des termes inflation et déflation dans les titres des articles des journaux américains (échelle de gauche) et dans les articles eux-mêmes (échelle de droite). La zone grisée correspond à la période de récession telle que définie par le NBER.
Les autorités subordonnent les politiques budgétaire et monétaire à un objectif unique : la reprise économique. Jacobson, Leeper et Preston (2019) appellent cette combinaison de politiques économiques une expansion budgétaire non financée caractérisée par :
Cette combinaison de politiques économiques crée, selon Jacobson, Leeper et Preston (2019), un effet de richesse nominale. La dette publique augmente plus vite que les augmentations d’impôts futurs, accroissant la richesse nominale (actualisée) du secteur privé. Cet effet de richesse augmente la demande agrégée ce qui brise le caractère auto-entretenu de la dépression. Au final le multiplicateur budgétaire est élevé parce que la dépense publique ne s’accompagne pas d’une anticipation de contraction future de l’activité causée par une consolidation budgétaire. Cela est rendu possible par la dévaluation de 1933 qui permet un relâchement temporaire de la contrainte budgétaire induite par l’étalon or.
Deux leçons pour la sortie de crise
Bien sûr, comparaison n’est pas raison. Les causes premières de la Grande Dépression et de la récession actuelle sont de nature très différentes : les banques aux États-Unis, l’épidémie aujourd’hui. Nous n’avons pas les mêmes institutions mais nous pouvons apprendre de l’histoire. Nous retenons deux leçons de la gestion de crise par Roosevelt.