Le Japon se distingue par la précocité et l’ampleur du vieillissement : la part des plus de 65 ans y est la plus élevée du monde et la population devrait baisser de 40% d’ici 2100. Le Japon semble s’être accommodé du déclin démographique et s’est concentré sur la maîtrise des dépenses sociales, un choix révélateur de préférences nationales.
Le Japon a perdu près d’un million d’habitants entre 2010 et 2015 et devrait en perdre encore 53 millions d’ici 2100. En 2100, le taux de dépendance (ratio des 65+ sur les 25-64) s’élèvera à 90% contre 50% en 2015. Le défi démographique n’est pas spécifique au Japon, mais la situation s’y distingue par sa précocité et par son ampleur (cf. Graphique 1). En avance dans le cycle du déclin démographique, le Japon offre une expérience utile pour comprendre les réponses politiques aux défis posés par le vieillissement.
Si le taux de fécondité est passé en dessous du seuil de remplacement dès 1975, la prise de conscience du risque de déclin démographique et de son impact sur la soutenabilité du système social date de 1990. Deux options s’offraient alors : essayer de renverser ce déclin via une politique nataliste ou le recours à l’immigration ; s’en accommoder en ajustant les dépenses sociales.
La première option a souffert de deux difficultés : la faiblesse des moyens financiers alloués et l’incertitude entourant les objectifs.
Ces évolutions suggèrent que les décideurs se sont accommodés du déclin démographique. Leurs efforts ont visé à équilibrer les dépenses sociales en préférant les changements paramétriques ou automatiques. Une loi de 1994 a ainsi prévu de porter progressivement l’âge de départ à la retraite de 60 à 65 ans d’ici 2030 et a augmenté les cotisations retraite ; en 1997, une loi a rationalisé les soins et doublé le ticket modérateur dans la santé; en 2000, les prestations retraite ont été réduites tandis qu’a été créée une branche sociale pour la dépendance ; en 2004, un fonds de réserve des retraites a été créé et un mécanisme automatique de sous-indexation des pensions introduit puis renforcé en 2016 pour tenir compte des périodes d’inflation négative ; enfin, en 2014 la TVA a été augmentée en lien direct avec le financement du vieillissement.
En dépit de ces ajustements, la hausse des dépenses sociales a été vertigineuse (cf. Graphique 2). Elles représentent désormais 22% du PIB contre seulement 5% en 1970. La hausse la plus forte est venue des dépenses de retraite (+9,2 pp.) dans un pays où le nombre de retraités a explosé (22 millions en 2000, 35 en 2018) et où l’espérance de vie à la retraite est la plus élevée du monde (22 ans). L’envolée des dépenses de santé (+4,4 pp.) est aussi liée au vieillissement qui représente 70% de cette hausse depuis 2000 (OCDE, 2017). Enfin, le système d’aides sociales spécifiques aux personnes âgées créé en 2000 voit son déficit s’aggraver d’années en années.
Ces dépenses sociales devraient continuer à croître et atteindre 24% du PIB en 2040. Si l’évolution des pensions resterait contenue, le dérapage des dépenses de santé et de dépendance devrait se poursuivre dans un pays où la consommation de médicaments par personne, stimulée par le vieillissement, est de 46% supérieure à la moyenne OCDE. En 2015 a été fixé un plafond annuel de 500 Mds ¥ (0,11% PIB) d’augmentation des dépenses sociales liées au vieillissement. Mais la réalité est au-delà : les prévisions du Ministère du Travail font état d’une croissance annuelle de 3000 Mds ¥ d’ici 2040 dont 720 pour la seule dépendance.
Au-delà de la maîtrise des dépenses sociales, leur financement est un enjeu d’autant plus crucial que le déclin démographique laisse entrevoir une baisse des recettes fiscales. L’équilibre à moyen terme nécessitera d’autres ajustements : plus forte contribution de l’État – dont les dépenses sociales sont déjà depuis 2001 le premier poste de dépenses devant le service de la dette ; report de l’âge de la retraite ; augmentations des cotisations ; ou rationalisation des soins.
Au final, les choix politiques japonais face au vieillissement sont marqués par des préférences nationales : la faible ouverture aux étrangers restreint le recours à l’immigration, le faible équilibre vie privée / vie professionnelle pour les salariées rend difficile une réelle politique nataliste.