Le plan européen post-Covid est la plus vaste initiative budgétaire sur le continent depuis 70 ans. Ce billet tire les leçons du plan Marshall en soulignant le rôle majeur des effets structurels induits par une conditionnalité adaptée au contexte, la nécessité de préparer la sortie du plan, l’influence des fondamentaux et l’importance du succès du plan comme vecteur d’intégration en Europe.
Note : Aides en $1948 et €2020 rapportées aux PIB de 1948 et 2020, investissements du plan de relance estimés sur la base des PNRR. Dans le cas du dernier plan européen, il s’agit de prêts et subventions disponibles.
Entre 1948 et 1952, le plan Marshall a permis le transfert des États-Unis vers seize pays européens – hors bloc soviétique – d’un montant de près de 10,5% du PIB de ces derniers. Aujourd’hui les mesures prises par l’Union européenne face à la crise sanitaire – versements potentiels dans le cadre du plan de relance NextGenerationEU (NGEU) et des mesures de soutien d’avril 2020 (SURE, MES et BEI) – représentent des initiatives d’une ampleur similaire, de près de 10,1% de son PIB. Les niveaux des investissements de long terme permis par le plan Marshall et prévus dans NGEU sont également très proches (Graphique 1), autour de 4% du PIB.
En revanche, la composition et l’origine des financements diffèrent fortement. Le plan Marshall est constitué à près de 90% de subventions et de 10% de prêts et est financé de l’extérieur par les États-Unis. Le plan européen a une composition plus mixte avec potentiellement 54% de prêts, 31% de subventions et 15% de garanties dont le financement est assuré au niveau de l’UE.
Les deux plans s’inscrivent dans des contextes très distincts. En 1948, les bénéficiaires du plan sortent d’une économie de guerre centralisée et sont confrontés à des problèmes d’instabilité monétaire et de déficits budgétaires et des balances courantes (Bossuat, 2008 ; Crafts, 2011). À ce contexte macroéconomique, rendant particulièrement difficiles les financements nécessaires à l’investissement et la reconstruction (Eichengreen et Uzan, 1992), s’ajoutent des risques politiques et sociaux importants, dont la crainte d’un basculement dans le bloc soviétique. NGEU vise, pour sa part, à soutenir les États dont les finances publiques ont été fortement contraintes par la crise sanitaire dans leur reprise économique et leur processus de réforme, ainsi que dans le financement de leurs transitions écologique et numérique.
Malgré des contextes différents, les deux plans ont en commun de faire face à une double exigence de stabilisation macroéconomique et de renouvellement des équipements et infrastructures en allouant les financements aux pays en difficultés où des investissements sont particulièrement nécessaires (Graphique 2). Ces derniers sont identifiés à partir des données du Mutual security program, pour le Plan Marshall et des données des Plans nationaux pour la reprise et la résilience (PNRR) qui définissent les projets d’investissements (capital fixe, humain et naturel) devant être mis en œuvre jusqu’en 2026.
Le plan Marshall a permis des investissements importants dans la reconstruction et la modernisation du stock de capital européen. La majorité du plan est allouée via un système de fonds de contrepartie, alimentés par la vente aux agents domestiques d’équipements et matières premières provenant des États-Unis et géré de concert avec les administrateurs de l’Economic Cooperation Administration (ECA) en Europe.
La stratégie de conditionnalité de l’ECA se distingue par sa flexibilité qui permet un usage différencié des fonds de contrepartie par pays (Tableau 1). Alors que le Royaume-Uni utilise la quasi-totalité du plan pour mettre en œuvre une stabilisation budgétaire et monétaire, l’Italie, l’Allemagne et la France, ont largement augmenté l’investissement public.
Toutefois, le succès du Plan Marshall ne repose pas principalement sur son effet macroéconomique direct. Les montants engagés ne peuvent mécaniquement expliquer qu’une faible part de l’accélération de la croissance des années 1950 (Eichengreen et Uzan, 1992). Crafts (2011) suggère un effet direct autour de 0,3 point de croissance en moyenne sur 1948-1951 pour 2 points de PIB de transfert.
Le volet structurel du plan Marshall joue un rôle majeur sur la croissance des pays bénéficiaires, ce qui en fait le plan d’ajustement « le plus réussi de l’histoire » (De Long et Eichengreen, 1991). Tout d’abord, le plan est conditionné à un niveau minimal de stabilisation macroéconomique et encourage la fin du contrôle des prix et de la production, en apportant une solution aux problèmes d’approvisionnement qui justifiaient les mesures d’économie de guerre.
Ensuite, le plan favorise la libéralisation des échanges intra-européens. Une partie des fonds de contreparties est allouée au règlement multilatéral de ces échanges, alors que la création de l’European Payment Union (EPU) en 1950 pose les bases pour davantage d’intégration européenne. Enfin, l’aide technique américaine (e.g. voyages de formation aux États-Unis) aurait également fortement contribué à augmenter la productivité (Giorcelli, 2019).
L’aide financière du plan a créé un environnement favorable à la stabilisation et aux réformes dans les États bénéficiaires. Elle permet à ces derniers de dégager les marges financières et le capital politique nécessaires pour les rendre soutenables dans le contexte de la guerre froide. C’est sur un modèle social alliant productivité du travail et un niveau d’investissement élevé que se base la forte croissance des Trente Glorieuses (Crafts, 2011).