Le US Tax Cuts and Jobs Act mis en œuvre en 2018 a un impact sur l’activité aussi bien nationale qu’internationale des sociétés américaines. Néanmoins, la réduction de l’impôt sur les sociétés n’a eu qu’un effet transitoire sur la composition des revenus des investissements directs étrangers des États-Unis, sans entraîner jusqu’à présent d’amélioration significative du solde commercial.
Le Tax Cuts and Jobs Act récemment adopté aux États-Unis contient trois volets principaux : a) la réduction du taux d’impôt sur les sociétés, de 35 % à 21 % – niveau comparable à la moyenne OCDE ; b) le passage à un système territorial où les entreprises américaines sont imposées uniquement sur les bénéfices réalisés aux États-Unis ; et c) une taxe ponctuelle sur le rapatriement des bénéfices accumulés à l’étranger, soit un taux bonifié de 15,5 % pour les fonds détenus sous forme de liquidités ou d’actifs liquides et de 8 % pour le reste, dont les entreprises peuvent s’acquitter sur une période de huit ans.
La nouvelle loi devrait donc inciter les multinationales américaines à déclarer leurs bénéfices aux États-Unis plutôt que dans des juridictions à faible fiscalité, entraînant une amélioration du solde des échanges de biens et des services et une baisse du solde du revenu primaire. La nouvelle loi devait également inciter les multinationales américaines à rapatrier leurs revenus aux États-Unis au lieu de les conserver à l’étranger.
Avant la réforme de la fiscalité des entreprises, l’imposition du revenu mondial des multinationales américaines correspondait à un crédit non remboursable au titre des impôts versés à l’étranger. Toutefois, les multinationales pouvaient conserver indéfiniment les bénéfices accumulés à l’étranger, n’étant soumises à la fiscalité américaine qu’au moment du rapatriement de ces fonds. Ce système a encouragé les multinationales à alléger au maximum leur charge fiscale par deux biais :
Il en résulte une structure spécifique du compte courant des États-Unis, au niveau du solde des revenus comme du solde commercial. Les États-Unis sont un pays débiteur net, mais le solde de leur revenu primaire est positif et a augmenté au cours des quinze dernières années (graphique 1). Cela traduit un rendement plus élevé des actifs extérieurs détenus par les États-Unis que des passifs, situation souvent qualifiée de « privilège exorbitant ». De fait, les revenus perçus par les résidents américains au titre de leurs actifs extérieurs sont plus élevés que ceux relatifs à leurs passifs vis-à-vis des non-résidents. Cet excédent s’explique en partie par le fait que les multinationales américaines déclarent un montant plus élevé de bénéfices à l’étranger (Guvenen et al. (2017).
De plus, l’impôt sur les sociétés étant plus élevé aux États-Unis, les multinationales américaines étaient enclines à sous-estimer les exportations nettes de services dans les transactions intra-groupe, faisant artificiellement baisser le solde commercial. Cette stratégie, également utilisée dans l’industrie (exporter des composantes à des prix artificiellement bas et les réimporter à des prix plus élevés), se pratique essentiellement dans les secteurs de haute technologie et pharmaceutique. Les multinationales détenant un montant élevé d’actifs incorporels les transfèrent souvent vers leurs succursales situées dans des pays à faible fiscalité, versent des royalties pour l’utilisation des droits de propriété intellectuelle, réduisant ainsi au minimum les bénéfices réalisés aux États-Unis.
Outre la réduction de l’impôt des sociétés, la nouvelle loi a permis le passage à un système territorial, dans lequel les bénéfices réalisés et taxés à l’étranger ne sont pas imposés aux États-Unis. Comme mesure de transition, la loi impose une taxe ponctuelle sur le rapatriement attendu des bénéfices accumulés détenus à l’étranger. Ces réformes ont un impact sur les bénéfices des multinationales réalisés à l’étranger, comptabilisés comme revenus au titre des investissements directs étrangers (IDE) dans le revenu primaire de la balance des paiements. Ces bénéfices sont déclarés soit comme dividendes (si renvoyés aux États-Unis) soit comme bénéfices réinvestis (si conservés à l’étranger).
Le graphique 2 montre que les entreprises américaines ont réagi à la réforme fiscale en augmentant le montant de dividendes (revenu positif) tout en réduisant l’encours des bénéfices passés réinvestis dans leurs filiales étrangères (d’où un montant négatif de « bénéfices réinvestis »). On peut formuler deux remarques :
La réaction des entreprises américaines à la réforme fiscale s’est essentiellement traduite par un rapatriement partiel des stocks de bénéfices précédemment accumulés (environ 20 % du total) en raison de la taxe ponctuellement réduite. Ce comportement est analogue à celui observé en 2005, lorsqu’une autre loi avait accordé aux multinationales américaines une année de congé fiscal pour rapatrier les bénéfices réalisés à l’étranger au taux de 5,25 %.
Pour avoir un effet durable sur le solde commercial, la réforme de la fiscalité des entreprises devrait modifier la manière dont les multinationales américaines comptabilisent leurs transactions. La réduction de l’impôt sur les sociétés devrait effectivement dissuader les multinationales de transférer leurs bénéfices, faisant ainsi baisser les recettes au titre des IDE et augmenter le montant des exportations nettes de services.
Dans le graphique 2, nous observons un changement dans la composition des revenus au titre des IDE, mais le solde reste stable à son niveau pré-réforme. En outre, ce changement n’est pas associé à une augmentation des exportations nettes de services. En particulier, la décomposition du solde commercial au titre des services dans le graphique 3 montre qu’il n’y a pas eu d’augmentation des frais pour usage de la propriété intellectuelle, pour lesquels le transfert de bénéfices est plus significatif. Il est encore trop tôt pour évaluer le plein impact de la réforme, car il faudra probablement du temps aux multinationales américaines pour ajuster la localisation de leurs actifs et de leurs activités. Toutefois, les décisions des multinationales relatives au transfert des bénéfices ne semblent pas être affectées pour l’instant. En effet, le taux de l’impôt sur les sociétés reste plus élevé que dans de nombreux pays avancés et paradis fiscaux (21 % contre 12,5 % en Irlande par exemple, voire 0 % dans plusieurs paradis fiscaux).