Bloc-notes Éco

Deux ans après son lancement, quel bilan pour le PEPP ?

30 Juin 2022
Auteurs : Hadrien Camatte, Théophile Legrand, Aster Recoules

Billet n°276. Les achats nets de titres par l’Eurosystème dans le cadre du PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme) se sont arrêtés fin mars 2022, deux ans après le lancement. Ce programme a permis de contrer la fragmentation du marché des dettes souveraines dans la zone euro face à la pandémie de Covid-19 et continuera à préserver la transmission de la politique monétaire via la flexibilité dans les réinvestissements.

Image Graphique 1 : Réduction du risque de fragmentation dans la zone euro depuis avril 2020 Source : Bloomberg, calcul des auteurs Note : la fragmentation est mesurée comme l’écart entre le rendement moyen des obligations d’État de la zone euro à 10 ans pondéré par le PIB et le taux des swaps OIS à 10 ans (Overnight Indexed Swap).
Graphique 1 : Réduction du risque de fragmentation dans la zone euro depuis avril 2020
Source : Bloomberg, calcul des auteurs
Note : la fragmentation est mesurée comme l’écart entre le rendement moyen des obligations d’État de la zone euro à 10 ans pondéré par le PIB et le taux des swaps OIS à 10 ans (Overnight Indexed Swap).

Le PEPP, un programme d’achats d’urgence face à la pandémie

Afin de répondre à la pandémie de Covid-19 et aux risques qu’elle faisait peser sur la stabilité des prix et la transmission de la politique monétaire, la BCE a adopté un premier ensemble de mesures de politique monétaire le 12 mars 2020. Parmi ces mesures figuraient le lancement d’opérations ciblées de refinancement à plus long terme, l’instauration de conditions plus favorables sur les TLTRO III (Targeted Longer-Term Refinancing Operation) pendant une période limitée et la mise en place d’une enveloppe temporaire additionnelle de 120 milliards d’euros (Mds€) dans le cadre des programmes d’achats de titres regroupés sous le vocable APP (Asset Purchase Programme). 

Le 18 mars 2020, la BCE a annoncé le lancement d’un programme d’achats d’urgence face à la pandémie, le PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme), dans un contexte de hausse significative des primes de risque de crédit sur le marché des obligations d‘État en euros. L’enveloppe de ce nouveau programme, initialement de 750 Mds€, a été portée à 1 350 Mds€ le 4 juin 2020 et à 1 850 Mds€ le 10 décembre 2020. Tous les actifs déjà éligibles à l’Asset Purchase Programme (APP) sont également éligibles au PEPP. Certains titres inéligibles à l’APP sont devenus éligibles au PEPP : une dérogation a été accordée aux titres émis par l’État grec. S’agissant des actifs du secteur public, l’échéance résiduelle minimale des titres a été réduite à 70 jours (au lieu d’un an dans le cadre de l’APP). Concernant le secteur privé, l’éligibilité des titres de créances négociables (commercial paper) d’entreprise a été élargie pour inclure les titres dont l’échéance résiduelle est d’au moins 28 jours. Si le critère de référence pour la répartition des achats de titres du secteur public entre les différentes juridictions de la zone euro demeure la clé de répartition du capital de l’Eurosystème, les achats peuvent être néanmoins effectués de manière flexible par les différentes banques centrales nationales de l‘Eurosystème afin d’éviter un resserrement non souhaitable des conditions de financement.

Le 16 décembre 2021, le Conseil des Gouverneurs a estimé que les progrès réalisés en matière de reprise économique et de réalisation de l'objectif d'inflation à moyen terme permettaient la fin des achats nets du PEPP à fin mars 2022. Il a par ailleurs prolongé l’horizon de réinvestissement intégral au titre du PEPP, au moins jusqu’à fin 2024.

Quel bilan pour le PEPP au terme de la phase d’achats nets ?

À fin mars 2022, le PEPP représente plus de 1700 Mds€ d’achats nets, dont 97% de titres publics (y compris supranationaux). Au total, l’encours détenu par l’Eurosystème au titre de l’APP et du PEPP est proche de 5 000 Mds€ à fin mars 2022 (cf. Graphique 2). Ce résultat reflète une forte hausse de la part des obligations publiques détenue par l’Eurosystème au sein de l’univers des obligations en circulation : celle-ci est passée de 19% à 30% entre 2020 et fin 2021 (estimation sur la base des achats concernant les quatre principaux pays de la zone euro : Allemagne, France, Italie et Espagne (Lane, 2022).

Image Graphique 2 : Détentions de titres de l’Eurosystème dans le cadre de la politique monétaire Source : BCE, calcul des auteurs
Graphique 2 : Détentions de titres de l’Eurosystème dans le cadre de la politique monétaire
Source : BCE, calcul des auteurs

La combinaison des mesures de soutien monétaire a contribué à la stabilisation des marchés et à la bonne transmission de la politique monétaire, mais le rôle décisif du PEPP a été salué par les participants de marché. Notamment, l’écart entre le rendement moyen des obligations d‘État de la zone euro à 10 ans pondéré par le PIB et le taux des swaps OIS (Overnight Indexed Swap, contrat d’échange de taux dont la jambe variable est indexée sur le taux interbancaire à un jour Eonia considéré comme le taux sans risque) a fortement diminué après l’annonce du lancement du PEPP (cf. Graphique 1), pour s’établir à des niveaux inférieurs à ceux observés avant la pandémie. Il s’agit de l’indicateur de marché privilégié par la BCE pour mesurer le risque de fragmentation (voir Hutchinson and Mee (2020) et Lane (2022)).

La flexibilité du PEPP – à travers les classes d’actifs, les juridictions mais également le calendrier des achats – a constitué un signal fort pour les marchés. Les analystes soulignent ainsi le succès de cette flexibilité, qui a permis le resserrement des primes de risque de crédit après le pic de stress en mars 2020.

Pour autant, cette flexibilité n’a pas conduit à des déviations majeures par rapport à la clé de répartition du capital de la BCE à l’issue du programme. Si les écarts ont atteint un pic au cours des premières semaines après le lancement du PEPP (mai 2020), ils se sont ensuite résorbés au cours de la mise en œuvre du programme.

La compression de la prime de terme est également mise en avant (voir Schnabel, 2021). Selon Altavilla et al. (2021), le PEPP (estimation avec l’enveloppe alors de 1 350 Mds€), couplé à l’enveloppe APP additionnelle de 120 Mds€, a permis de diminuer la prime de terme des obligations souveraines à 10 ans de 45 bps supplémentaires par rapport au seul impact de l'APP pré-mesures COVID.

La fin des achats nets du PEPP ne signifie pas l’arrêt des interventions de l’Eurosystème

Depuis le début du programme, les remboursements des titres arrivant à échéance sont réinvestis en totalité par l’Eurosystème, qui a confirmé le 10 mars dernier la poursuite de ces réinvestissements au moins jusqu’à la fin de 2024. Le portefeuille du PEPP sera ainsi stable jusqu’à cet horizon. Le Conseil des gouverneurs de la BCE a par ailleurs décidé le 15 juin 2022 de "faire preuve de flexibilité dans le réinvestissement des remboursements des titres arrivant à échéance du portefeuille PEPP". Les achats nets au titre du PEPP pourraient également reprendre, si nécessaire, pour contrer des chocs négatifs liés à la pandémie (décision de politique monétaire du 09 juin 2022).

Le stock de titres détenus par l’Eurosystème ne diminuera que graduellement. Selon les répondants au Survey of Monetary Analysts de juin 2022, le stock d’actifs serait de (i) 1 718 Mds€ au 4e trimestre 2024 (médiane des réponses) dans le cadre du PEPP (voir Graphique 3), tandis que (ii) les actifs détenus dans le cadre de l’APP ne diminueraient progressivement qu’à partir de fin 2023, avec un volume de l’ordre de 3 450 Mds€ attendu au 4e trimestre 2024. L’effet stock est ainsi susceptible de contribuer au maintien de conditions de financement favorables : différentes études empiriques mettent en avant l’effet sur la baisse des rendements lié aux volumes détenus (cf. Arrata, Nguyen (2017), Dalbard, Le Bihan et Vives (2018) et Hubert (Working Paper Banque de France à paraître).

Image Graphique 3 : Prévisions des participants de marché concernant le stock de titres PEPP Source : BCE (SMA juin 2022)
Graphique 3 : Prévisions des participants de marché concernant le stock de titres PEPP
Source : BCE (SMA juin 2022)

En outre, suite à la réunion ad hoc du 15 juin et afin de contrer la résurgence des risques de fragmentation, le Conseil des gouverneurs a notamment annoncé avoir décidé un réinvestissement flexible des tombées du PEPP, priorisant les pays affectés par un écart injustifié de taux. Enfin, en dépit de la remontée des rendements nominaux depuis fin 2021, les taux réels dans la zone euro ont augmenté à un rythme un peu moins soutenu (voir Graphique 4).

Image Graphique 4 : Rendements nominal et réel des obligations d’État à 10 ans de la zone euro (11 pays) pondérées par le PIB Source : Bloomberg, calcul des auteurs Note : le rendement à 10 ans zone euro pondéré par le PIB correspond au rendement souverain des 11 principaux pays de la zone euro, pondéré par le PIB de ces pays.
Graphique 4 : Rendements nominal et réel des obligations d’État à 10 ans de la zone euro (11 pays) pondérées par le PIB
Source : Bloomberg, calcul des auteurs
Note : le rendement à 10 ans zone euro pondéré par le PIB correspond au rendement souverain des 11 principaux pays de la zone euro, pondéré par le PIB de ces pays.

Au total, le PEPP reste un pilier important de la lutte contre les impacts économiques et financiers de la pandémie de Covid-19 au niveau européen, aux côtés notamment du plan de relance Next Generation EU (voir Le Quéau, Madeline et Sabalot, 2022). Le succès de ces deux programmes souligne l’importance de la flexibilité (Villeroy de Galhau, 2022) et de la coopération (Panetta, 2022) dans la conduite des politiques européennes.