Bloc-notes Éco

Crédibilité et efficacité de la politique monétaire dans les pays émergents

Mise en ligne le 26 Avril 2019
Auteurs : Grégory Levieuge

Billet n°113. Une banque centrale crédible peut orienter plus facilement les anticipations des agents, et par conséquent, les taux d’intérêt de long terme. La crédibilité rendrait donc moins nécessaire un usage intensif des taux directeurs. On relève effectivement une relation inverse entre crédibilité et volatilité des taux d’intérêt.

Image Graphique 1 : Lien inverse entre crédibilité et volatilité du taux d’intérêt Note : "Crédibilité" est l’indicateur proposé par Levieuge & Al. (2018), compris entre 0 (crédibilité minimale) et 1 (crédibilité maximale). La variance conditionnelle du taux d’intérêt traduit la volatilité du principal instrument de politique monétaire.
Graphique 1 : Lien inverse entre crédibilité et volatilité du taux d’intérêt Note : "Crédibilité" est l’indicateur proposé par Levieuge & Al. (2018), compris entre 0 (crédibilité minimale) et 1 (crédibilité maximale). La variance conditionnelle du taux d’intérêt traduit la volatilité du principal instrument de politique monétaire.

Du taux d’intérêt de court terme au taux d’intérêt de long terme

Dans le cadre de la politique monétaire conventionnelle, les banques centrales augmentent (diminuent) leurs taux directeurs pour freiner (stimuler) la demande globale, afin d’atteindre leur objectif de stabilité des prix.

Toutefois, en pratique, la demande globale est plutôt sensible aux taux d’intérêt de long terme. En effet, c’est davantage à long terme que les entreprises et les ménages s’endettent pour financer leurs dépenses d’investissement. Mais bien qu’elles ne contrôlent que les taux d’intérêt de (très) court terme, les banques centrales peuvent influencer, indirectement, les taux d’intérêt de maturité plus longue. En effet, les taux d’intérêt de long terme dépendent des anticipations des agents sur ce que seront les taux d’intérêt de court terme dans les mois et les années à venir.

Par conséquent, pour assurer une bonne transmission de la politique monétaire à l’ensemble des taux d’intérêt, il est important que les agents considèrent que la stratégie de la banque centrale demeurera cohérente dans le temps, c’est-à-dire conforme à ce qui a été annoncé. Si tel est le cas, la banque centrale peut être considérée comme crédible (Blinder, 2000), et les anticipations des agents coïncideront avec l’orientation souhaitée par la banque centrale. Concrètement, toute amorce de relèvement ou de baisse des taux directeurs se transmettra immédiatement aux taux d’intérêt de long terme. La transmission de la politique monétaire est ainsi plus efficace lorsque la banque centrale est crédible.

Une banque centrale crédible parvient à mieux orienter les anticipations des agents  

Pour bien comprendre l’influence de la crédibilité sur la transmission de la politique monétaire, considérons une banque centrale sous un régime de ciblage de l’inflation, par lequel elle s’engage à atteindre un niveau annoncé d’inflation. Si cette banque centrale est crédible, alors les agents estiment qu’elle respectera son engagement. Ils en déduisent qu’une hausse (baisse) anticipée de l’inflation, au-dessus (en dessous) de la cible, conduira à une hausse (baisse) des taux directeurs. Les anticipations et les opérations d’arbitrage menées en conséquence devraient faire bouger les taux d’intérêt de toutes maturités dans le sens voulu par la banque centrale. Cette dernière peut également s’appuyer sur des annonces publiques, au sujet des perspectives économiques et de ses intentions de politique monétaire, pour orienter les anticipations de taux. De ce point de vue, pour une banque centrale pleinement crédible, il existe une forte concordance entre la communication et l’action. Elle n’aurait pas à compenser un manque de crédibilité par de forts mouvements de taux directeurs. Au contraire, les taux directeurs seraient plus volatils pour les banques centrales moins crédibles.

C’est précisément ce que nous montrons dans un article récent qui porte sur la crédibilité des banques centrales des 18 pays émergents ayant adopté un régime de ciblage d’inflation (Levieuge, Lucotte & Ringuédé, 2018).

La transmission de la politique monétaire est plus efficace quand la banque centrale est crédible

Notre indicateur de crédibilité est défini par l’écart entre les anticipations d’inflation des agents privés et la cible d’inflation officielle de chacune des 18 banques centrales de notre échantillon. Plus les anticipations d’inflation sont proches de la cible (on parle alors d’« ancrage » des anticipations), plus la banque centrale est considérée comme crédible.

Notre indicateur de crédibilité apprécie l’écart entre les anticipations et la cible d’inflation à l’aune du niveau de la cible. Par exemple, un désancrage de 2 points de pourcentage constitue une perte de crédibilité plus importante pour une cible de 2%, que pour une cible de 6%. De plus, notre indicateur présuppose qu’une polarisation des anticipations d’inflation à un niveau supérieur à la cible signale une perte de crédibilité relativement plus importante qu’un désancrage négatif de même ampleur. En effet, la problématique des pays émergents étant de convaincre les agents de leur réelle volonté de lutter contre l’inflation, les cas où l’inflation anticipée est inférieure à la cible ne sont guère considérés comme des situations où la banque centrale renie son engagement de stabilité des prix.

Cet indicateur permet d’étudier empiriquement le lien entre la crédibilité et la volatilité du taux d’intérêt, mesurée par la variance conditionnelle des taux directeurs. Il apparaît que plus la crédibilité des banques centrales est forte, plus la variance des taux d’intérêt de court terme est faible. Cela signifie qu’une banque centrale crédible a effectivement moins besoin de bouger ses taux d’intérêt pour parvenir à son objectif d’inflation. À titre d’exemple, le graphique 1 montre que le désancrage des anticipations - représenté par la baisse de l’indicateur de crédibilité – observé au Chili en 2008 a effectivement été suivi d’un pic de volatilité du taux d’intérêt. De même, la relation inverse entre crédibilité et volatilité des taux d’intérêt apparaît clairement aux Philippines entre 2004 et 2009. Globalement, il se confirme que la crédibilité renforce l’efficacité de la transmission de la politique monétaire dans les pays émergents retenant une cible d’inflation.

Ainsi, pour que la transmission de la politique monétaire soit efficace, il faut que les agents croient que la banque centrale fera effectivement ce qu’elle a annoncé. Cela signifie que la politique monétaire doit être claire, cohérente et crédible.