Le co-mouvement des rendements des obligations souveraines est inhabituellement marqué sur la période la plus récente. Un facteur mondial explique généralement une grande partie de la variation des rendements à 10 ans, mais ce qui est particulièrement frappant au cours des derniers mois, c’est l’importance de ce facteur pour expliquer les rendements à 2 ans. Cela suggère qu’un choc commun détermine les anticipations relatives à la politique monétaire dans les grandes économies avancées.
La figure 2 présente les rendements obligataires nominaux pour 9 grandes économies avancées à partir de 2015. Il apparaît clairement qu’il existe certaines périodes où ces rendements ont tous tendance à évoluer de la même manière et d’autres où les mouvements sont dissociés. Le co-mouvement n’est parfois visible qu’entre des groupes de pays. Comment pouvons-nous transformer cette impression visuelle en mesure susceptible d’être suivie et comparée au fil du temps ? Ce billet présente une approche et ses enseignements relatifs au débat actuel sur la politique monétaire.
Notre première étape consiste à identifier un facteur mondial commun à tous les rendements pour chaque maturité. Techniquement, il constitue la première composante principale et est représenté en bleu dans la figure 1 pour les rendements souverains français. Par construction, il est commun à toutes les séries temporelles des rendements pour l’ensemble des neuf pays. Nous construisons ensuite, pour chaque pays, une série constituée de la part de leurs rendements qui ne peut pas s’expliquer par le facteur mondial. Les pays affichant des dynamiques de rendements similaires sont alors regroupés (France, Allemagne et Espagne d’une part, et Australie, Canada, Royaume-Uni et États-Unis, d’autre part) afin d’identifier respectivement un facteur « zone euro » et un facteur « anglo-saxon ». L’Italie ne fait pas partie du groupe utilisé pour identifier le facteur zone euro en raison de sa faible corrélation avec le reste du groupe. Le Japon constitue un facteur à lui seul. Pour les rendements à 10 ans, nous constatons qu’il est nécessaire de diviser les pays « anglo-saxons » entre Amérique du Nord et Australie/Royaume-Uni. Pour estimer le facteur zone euro, nous recherchons à nouveau un facteur commun expliquant le co-mouvement des résidus des rendements de ces pays après prise en compte de la contribution du facteur mondial. Nous faisons de même pour le facteur anglo-saxon. Enfin, nous régressons les rendements de chaque pays sur l’ensemble de ces facteurs pour établir l’importance de chaque facteur pour chaque rendement. Le résidu que nous ne sommes pas en mesure d’expliquer est appelé facteur idiosyncratique. Nous obtenons une décomposition de chaque rendement comme illustré dans la figure 1 pour le cas français.
Il est parfois soutenu que les marchés américains déterminent un cycle financier mondial (Miranda-Agrippino and Rey, 2021). Dans ce cas, nous devrions constater que la corrélation la plus élevée est celle entre les rendements aux États-Unis et le facteur mondial. Ce n’est pas le cas. Les résultats présentés dans le tableau 1 montrent que la corrélation des États-Unis est même inférieure à la médiane pour les deux maturités.
Les figures 3 et 4 illustrent les décompositions pour l’Allemagne et les États-Unis pour les maturités à 2 ans et à 10 ans, respectivement, et donnent plusieurs indications intéressantes. Premièrement, nos facteurs peuvent expliquer presque toutes les variations de ces rendements : les contributions idiosyncratiques sont relativement faibles. Deuxièmement, le facteur mondial est beaucoup plus important pour expliquer les maturités à long terme que celles à court terme. Cela suggère que les marchés des obligations souveraines sont fortement intégrés au niveau mondial. Néanmoins, les zones monétaires disposent d’une souveraineté monétaire significative à court terme, de sorte que les taux directeurs peuvent diverger en réponse à des chocs locaux. Troisièmement, tous les facteurs sont présents dans tous les rendements. Ainsi, le facteur Japon exerce une influence sur les rendements obligataires de la zone euro et le facteur zone euro influence les rendements aux États-Unis.
La figure 5 se concentre sur la période la plus récente – depuis décembre 2021. Nous pouvons observer que les rendements à 2 ans en Allemagne et aux États-Unis sont fortement déterminés par le facteur mondial depuis février 2022. Cela suggère que les anticipations relatives à la politique monétaire ont réagi à un choc mondial commun, qui pourrait être lié aux tensions inflationnistes mondiales. Toutefois, le rythme de la normalisation de la politique monétaire est différent de part et d’autre de l’Atlantique, les facteurs zone euro contribuant par conséquent à ralentir la hausse des rendements américains.