Plusieurs métaux joueront un rôle critique dans la transition vers une économie décarbonée. Des déséquilibres entre offre et demande croissante de ces métaux pourraient advenir. Afin de les appréhender, Miller et al. (2023) estiment la demande de métaux induite par les scénarios climatiques du NGFS et esquissent des implications potentielles en termes de vulnérabilités macro financières.
Limiter le réchauffement moyen de la planète à 1,5°C (ou moins de 2°C), comme nous y engage l’Accord de Paris signé en 2015, nécessite un déploiement massif et rapide des énergies renouvelables et de technologies associées. Ceci implique par exemple le développement et l’installation de nombreuses centrales solaires photovoltaïques, d’éoliennes, de moteurs de véhicules électriques et de nouveaux réseaux électriques.
Il est bien connu que cette transition bas-carbone entraînera une forte baisse de la demande de ressources fossiles, mais il est moins connu qu’elle générera également une forte hausse de la demande d’un ensemble de métaux et minerais tels que le lithium, le cuivre, le nickel ou le cobalt, que l’on peut qualifier de « métaux critiques à la transition » (MCT). Par exemple, la demande mondiale de lithium (nécessaire notamment aux batteries de voitures électriques) pourrait être multipliée par environ 40 d’ici 2040 (Agence Internationale de l’Énergie, 2021). En France, le « rapport Varin » remis en au gouvernement en janvier 2022 insiste sur l’importance de la sécurisation de l’approvisionnement en MCT.
Dans un article récent, Miller et al. (2023) cherchent à mieux comprendre les déséquilibres potentiels à venir entre offre et demande de MCT. Sur la base de différentes bases de données collectées (concernant l’intensité en MCT de différentes technologies, la distribution géographique de la production et des réserves connues, des estimations de taux de recyclage et de substituabilité, etc.), les auteurs estiment les besoins en MCT induits par les scénarios de transition développés par le Network for Greening the Financial System (NGFS).
Ainsi, comme illustré sur le graphique 1, dans le cadre du scénario « Net Zero d'ici 2050 » du NGFS, la demande annuelle induite pour tous les matériaux ciblés passe de 4,7 millions de tonnes (Mt) en 2021 à 32,8 Mt en 2040 (voir graphique 1), soit une multiplication par 7. Dans le scénario « Transition retardée », la demande totale passe de 1,7 Mt à 42,9 Mt (véhicules électriques compris) et de 0,94 Mt à 32,1 Mt (véhicules électriques non compris) entre 2021 et 2040. Le métal faisant face à la plus forte augmentation de la demande est le cuivre, suivi d’autres MCT tels que le graphite et le nickel.
Ces résultats suggèrent que la demande de certains MCT pourrait vite devenir supérieure à leur disponibilité, sur la base de variables telles que la production existante, les nouveaux projets en cours, les réserves existantes, les taux de recyclage ou encore la substituabilité de chaque métal. Le graphique 2 ci-dessous fournit un exemple pour le lithium. Les déséquilibres entre offre et demande de MCT pourraient être d’autant plus importants que les résultats de Miller et al. (2023) ne prennent en compte que la demande induite par la transition bas-carbone et non par d’autres secteurs et usages également en très forte croissance (par exemple, informatique).
Note : l’offre de lithium projetée sur la base de différentes variables (production actuelle, réserves, nouveaux projets, etc.) pourrait être inférieure à la demande induite par le scénario « Net Zero by 2050 » du NGFS. L’offre secondaire correspond globalement au lithium recyclé.
Ces projections restent bien entendu sujettes à certaines incertitudes. En effet, de nombreux facteurs sont à prendre en compte qui pourraient atténuer ou au contraire exacerber des déséquilibres entre l’offre et la demande de MCT, notamment :
Ces déséquilibres potentiels entre offre et demande de MCT pourraient être source de vulnérabilités macro financières.
Ils pourraient d’abord générer des disruptions importantes dans les chaînes de valeur mondiales. La forte volatilité observée récemment sur le prix de certaines matières premières pourrait ainsi n’être qu’un aperçu de tensions plus structurelles à venir (Boer et al., 2021). Celles-ci pourraient avoir des impacts particulièrement négatifs pour des économies comme celles de l’UE, qui n’ont de position dominante ni dans l’extraction et le raffinage de ces matières premières, ni dans leur intégration dans les nouvelles technologies de la transition.
In fine, ces impacts pourraient menacer la stabilité des prix et la stabilité financière dont sont garantes les banques centrales et superviseurs financiers. Malgré une prise de conscience récente de l’importance du sujet (ce sujet est par exemple discuté dans la section 1.4 du rapport d’Évaluation des risques du système financier français de juin 2022), la question des MCT devrait davantage être intégrée à l’agenda des travaux sur les risques dits « de transition ». Miller et al. (2023) suggèrent ainsi plusieurs orientations :