Bloc-notes Éco

La récente hausse du taux d'emploi est une particularité française

3 Mars 2022
Auteurs : Pierre Sicsic, Antoine Lalliard, Cristina Jude

Billet n°258. Le taux d’emploi en France a dépassé son niveau de la fin 2019. C’est une particularité française. Il demeure cependant faible comparativement aux autres pays, en particulier pour les jeunes et les hommes de plus de 60 ans. Sa progression depuis une vingtaine d’année y avait été jusqu’à récemment plus lente que dans les autres grands pays.

Image Graphique 1 : Écarts du taux d’emploi par rapport au T4 2019 Source : Eurostat & BLS
Graphique 1 : Écarts du taux d’emploi par rapport au T4 2019 Source : Eurostat & BLS

Le taux d’emploi en France dépasse désormais son niveau de la fin 2019.

Alors que les projections du début 2020, au pire de la crise de la Covid-19, faisaient état d’un risque de hausse du taux de chômage en France en 2021, celui-ci s’est établi au troisième trimestre 2021 au niveau du dernier trimestre 2019, et est même passé nettement en-dessous au 4ème trimestre 2021. Cette stabilité du chômage est liée à l’activité générale (voir les évolutions du PIB dans le tableau 2), et ne provient pas d’une baisse de la population active, à la différence des États-Unis. Le taux d’emploi qui rapporte l’emploi à la population comprise entre 15 et 64 ans, est en France au-dessus de son niveau de la fin 2019 (graphique 1 et tableau 1), et dépasse le niveau de la fin des années 70. Ce billet utilise les chiffres du troisième trimestre 2021 pour permettre des comparaisons internationales, le dernier chiffre disponible pour la France au dernier trimestre est un peu plus élevé (voir note du tableau 1). Cette évolution en France contribue à la reprise de l’emploi en zone euro, avec un taux équivalent à celui de T4 2019, et ce malgré une situation plus défavorable en Allemagne.

Les statistiques de taux d’emploi proviennent des enquêtes auprès des ménages. Il apparaît parfois une différence avec les estimations du nombre d’emplois provenant de ces enquêtes auprès des entreprises, comme sur ces derniers mois aux États-Unis. Toutefois, sur la période de la fin 2019 à la fin 2021, cet écart est modéré (l’emploi a diminué aux États-Unis de décembre 2019 à décembre 2021 de 2,80 millions selon l’enquête auprès des ménages et de 2,97 millions selon la source employeurs).

Image Tableau 1 : Taux d’emploi en % Sources et note : Insee, Eurostat, BLS. Le taux d’emploi en France en 21T3 a été revu à 67,6 %et celui au 21T4 est de 67,8% selon la publication de l’Insee du 18 février
Tableau 1 : Taux d’emploi en %
Sources et note : Insee, Eurostat, BLS. Le taux d’emploi en France en 21T3 a été revu à 67,6 %et celui au 21T4 est de 67,8% selon la publication de l’Insee du 18 février

La progression de l’emploi en France s’accompagne d’une diminution de la productivité par tête, compte tenu de l’évolution du PIB qui n’a retrouvé son niveau d’il y a deux ans qu’au troisième trimestre 2021, et du développement de l’activité partielle.

Image Tableau 2 : Variation du PIB et de la productivité de 2019 T4 à 2021 T3 en %
Tableau 2 : Variation du PIB et de la productivité de 2019 T4 à 2021 T3 en %

Stabilité du taux d’emploi en France aux âges de plus forte activité

La particularité française de progression du taux d’emploi de 2019 à 2021 provient de l’emploi des plus jeunes et des plus âgés. Le taux d’emploi des 25 à 49 ans est à 82,0% au troisième trimestre 2021, comme au dernier trimestre 2019. Celui des 15 à 24 ans a progressé de 2,4 points et celui des 55 à 64 ans a progressé de 1,7 point. Le contraste entre les évolutions de taux d’emploi en France et aux États-Unis est plus marqué pour la tranche 55 à 64 ans que dans l’ensemble, ce qui conduit à examiner plus précisément la question de l’inactivité des seniors et la progression des retraités outre Atlantique (voir plus bas le taux d’emploi des 55-64 ans aux États-Unis).

Retraite un peu moins tardive aux États-Unis, mais toujours après 65 ans

Pendant la pandémie de Covid, la part des retraités dans la population américaine a augmenté plus rapidement que d’habitude : de 18,5% fin 2019 à 19,6% en septembre 2021, selon la Fed de Kansas.

Le vieillissement de la population explique en partie cette évolution, notamment le départ à la retraite des baby-boomers. La vulnérabilité des seniors face à la Covid, le contexte financier favorable, avec des valorisations historiquement élevées des actifs financiers et immobiliers, ont également incité au départ ou au maintien à la retraite.

Ainsi, il existe depuis 2020 aux États Unis un surcroît de retraités par rapport à la tendance pré-Covid, estimé entre 1,5 et 2 millions selon les Fed de Dallas et Kansas City. Il faut noter toutefois que ce surcroît de retraités ne s’observe que pour la tranche d’âge supérieure à 65 ans. Il ne s’agit donc pas véritablement de départs plus précoces mais plutôt d’un non-retour sur le marché du travail des travailleurs déjà retraités.

En effet, la population de plus de 65 ans a augmenté de 3,3 millions entre les derniers trimestres de 2019 et 2021. Au sein de cette population, le nombre de salariés (et des chômeurs) est resté stable alors que celui des inactifs, considérés comme retraités à cet âge, a progressé. Cette évolution est d’autant plus inhabituelle que les plus de 65 ans avaient été les seuls à augmenter leur participation à l’emploi depuis les années 2000 aux États-Unis, même pendant la crise financière en réintégrant le marché du travail après avoir fait valoir leurs droits à la retraite. Ainsi, le taux d’emploi des plus de 65 ans a diminué le plus pendant la crise du Covid, de 19,9% fin 2019 à 18,6% fin 2021. En revanche, les 55-64 ans, quant à eux, n’ont pas diminué leur participation à l’emploi, mais se retrouvent plus nombreux au chômage. Leur taux d’emploi a d’ailleurs moins diminué (de 64,0 à 62,8 %) que celui des 25 à 54 ans (de 80,3 à 78,3 %) du dernier trimestre 2019 au dernier trimestre 2021.

Progression lente du taux d’emploi de 60 à 64 ans en France

Depuis une cinquantaine d’année le taux d’emploi des séniors a décrit une courbe en U plus ou moins marquée selon les pays. La diminution a été plus forte en France que dans tous les autres pays entre 1975 et la fin des années 1990 (voir graphique 2). Depuis le début des années 2000, le taux d’emploi des hommes progresse en France, cependant à un rythme plus lent que dans les autres pays dans lesquels le taux avait lui aussi connu un creux (Allemagne, Pays-Bas et Italie). La comparaison des évolutions des taux d’emploi d’ensemble (femmes et hommes) est moins marquante car les taux d’emploi par sexe sont proches en France alors que dans les autres pays le taux d’emploi féminin est plus bas. Par exemple en 2020 les taux d’emploi des femmes de 60 à 64 ans sont de 33,1 % en France et 41,1 % en Italie, alors que pour les hommes, ils sont de 33,7 % et 49,2 %.

Image Graphique 2 : Taux d’emploi des hommes de 60 à 64 ans Source : OCDE
Graphique 2 : Taux d’emploi des hommes de 60 à 64 ans
Source : OCDE

La progression du taux d’emploi des séniors est notamment liée aux réformes des retraites, comme en Allemagne ou en Italie (voir les chapitres pars pays dans Social Security Programs and Retirement around the World: Working Longer), elle tient aussi d’une convergence timide. Les difficultés d’emploi vers 60 ans sont exposées dans le rapport  "Favoriser l'emploi des travailleurs expérimentés" de 2020, et une toute récente revue des effets d’offre et de demande est disponible dans l’emploi des seniors en France.

Un niveau de taux d’emploi encore faible en France

Le taux d’emploi des 15 à 64 ans en France est de 67,5 % au T3 2021, soit son plus haut niveau depuis le début de la série en 1975. Pour autant, il demeure nettement inférieur à celui en Allemagne à 76,3 % (tableau 1). Sur la partie centrale de 25 à 55 ans, l’écart est plus faible (82,3 % et 84,9 %) et les taux d’activité sont encore plus proches (respectivement 88,3 % et 87,7 %, avec un avantage pour la France), la différence entre taux d’emploi et taux d’activité provenant du chômage. L’écart des taux d’emploi est donc concentré chez les séniors (voir ci-dessus) et les jeunes (rôle de l’apprentissage, avec néanmoins une récente forte progression en France).

L‘effet du niveau d’éducation sur le taux d’emploi est différencié entre les deux pays surtout pour les plus âgés. En France, les populations les plus faiblement diplômées (premier cycle de l’enseignement secondaire maximum), âgées de 25 à 54 ans, sont employées à hauteur de 60,5%, contre 65,6% en Allemagne. Cet écart de taux d’emploi des non diplômés est plus important si l’on considère l’ensemble des classes d’âge de 20 à 64 ans (11,2 points avec 51,6% en France contre 62,8% en Allemagne), ce qui reflète le plus faible taux d’emploi des séniors non diplômés en France.

En appliquant le taux d’emploi en Allemagne à la population française, le niveau de l’emploi serait supérieur de 13 % ou d’environ 3 millions d’emplois, la différence des taux de chômage expliquant un tiers de l’écart total. La différence des durées moyennes annuelles de travail (1511 heures en France et 1383 heures en Allemagne pour 2019 selon l’OCDE), qui incorporent les différences de temps partiel, conduit cependant à un écart d’heures travaillées de seulement 3,5 %.