Les mesures de politique monétaire « non-conventionnelle » mises en œuvre par la BCE ont permis d’immuniser les taux d’intérêt européens des mouvements de taux observés aux États-Unis depuis 2014 et y compris depuis l’élection de Donald Trump. Ce découplage, qui est adapté aux circonstances macroéconomiques de la zone euro, est le plus marqué pour les taux de maturités inférieures à 5 ans, qui sont les plus sensibles à l’orientation de la politique monétaire.
La déconnextion des taux de la zone euro et des Etats-Unis
La Figure 1 rassemble les taux souverains de 5 ans de maturité sur les taux des états membre de la zone euro les mieux notés, les Etats-Unis, le Royaume Uni et la France. Ces taux évoluent en général de concert. C’est très net pour les taux américains et britanniques sur l’ensemble des dix dernières années et aussi pour les taux de la zone euro jusqu’en 2013. On considère en général que les taux américains imposent leur rythme et que les taux européens répercutent le mouvement.
Cependant, un découplage des taux de la zone euro et américains est manifeste depuis 2014 et à nouveau sur la période qui a suivi l’élection de Donald Trump. C’est vrai tant pour les taux nominaux que pour les taux réels ex ante. En effet, les anticipations d’inflation à long-terme, telles que mesurées par les enquêtes auprès des prévisionnistes, sont demeurées très stables depuis dix ans.
Les taux d’intérêt à 5 ans sur la dette publique américaine ont augmenté de 70 points de base entre octobre 2016, soit juste avant l’élection américaine, et janvier 2017. Les marchés anticipent en effet une accélération de la croissance et de l’inflation américaines si la nouvelle administration réduit les impôts et accroit les droits de douanes sur les importations, ce qui devrait amener une remontée plus rapides des taux américains.
…s’est accentuée depuis l’élection de Trump
L’augmentation des taux européens de même maturité est restée limitée. Par exemple, les taux à 5 ans de la zone euro n’ont augmenté que de 20 points de base entre octobre 2016 et janvier 2017. Les taux français s’écartent des taux AAA de la zone euro depuis mi-janvier comme cela arrive souvent en période pré-électorale.
Cette absence de contagion transatlantique est inhabituelle. Du fait de l’arbitrage exercé par les investisseurs, les taux d’intérêt de même maturité sont très corrélés. Une telle contagion avait eu lieu lors de l’épisode du « taper tantrum » du printemps 2013 : la remontés des taux américains de 70 points de base avait été accompagnée d’une remontée du taux français de 45 points de base, nettement plus que dans les 2 mois qui ont suivi l’élection de Donald Trump.
La politique monétaire de la zone euro
Les taux d’intérêt courts (de maturité comprise entre 1 jour à 5 ans) sont en fait sous l’influence de la politique monétaire anticipée à court et moyen terme. Contrairement à ce qu’on observe pour les taux britanniques, le découplage entre les taux courts de la zone euro et les taux américains, qui remonte à 2014, vient de s’accentuer depuis l’élection américaine. Cela illustre la capacité de la BCE de préserver les conditions financières de la zone euro à l’abri des forces qui déterminent les conditions financières américaines ou globales.
Alors que la Réserve fédérale des États-Unis vient d’augmenter son taux directeur en décembre dernier et qu’on attend de nouvelles hausses en 2017, la Banque centrale européenne (BCE) a renforcé en décembre 2016 ses mesures « non-conventionnelles » de politique monétaire et les marchés anticipent ainsi que les taux d’intérêt européens resteront inférieurs aux taux américains pendant plusieurs trimestres.
Figure 2: Taux d’intérêt “forward 5 ans dans 5 ans” sur les dettes publiques françaises, britanniques et américaines et sur le marché monétaire en euro (in %)
Source : Bloomberg
Note : les taux d’intérêt “forward 5 ans dans 5 ans” reflètent la perception des marchés sur le taux auxquel le trésor pourra émettre de la dette publique à 5 ans dans 5 ans : en janvier 2022, le trésor français pourra émettre de la dette à 2%, et le trésor américain à 3%, environ.
C’est d’ailleurs sur les horizons inférieurs à 5 ans, maturités pour lesquelles les taux sont les plus sensibles à la politique monétaire, que le découplage entre la zone euro et les Etats-Unis est le plus marqué. Les taux britanniques, quant à eux, sont restés beaucoup plus proches des taux américains.
En revanche, les taux avec une maturité comprise entre 5 et 10 ans, qu’on appelle aussi les taux forward 5 ans dans 5 ans, continuent à évoluer de concert, y compris depuis l’élection américaine. Ces taux peuvent s’écarter. Les taux de la zone euro sont passés au-dessus des taux américains pendant la crise de la dette souveraine en 2011 et 2012 et ils leur sont inférieurs en niveau depuis 2014 (Figure 2) et le demeurent malgré un rebond fin 2016. Mais les variations de taux longs demeurent très corrélées. Elles reflètent des facteurs réels communs tels que le prix du pétrole, la croissance mondiale, la démographie, ou la tendance de la productivité. A un tel horizon, par exemple actuellement ce qu’on prévoit pour la période entre 2022 et 2027, les anticipations de politique monétaire domestique ont un impact diffus.
L’orientation de la politique monétaire de l’euro est très accommodante
Dans la zone euro, la politique monétaire non-conventionnelle passe par essentiellement trois vecteurs : le guidage des taux longs, les achats d’actifs et l’offre ciblée de liquidité à long terme (OCLLT).
« continu[ent] de penser que les taux directeurs devraient rester à leurs niveaux actuels ou à des niveaux plus bas sur une période prolongée, et bien au-delà de l’horizon fixé pour nos achats nets d’actifs ».
Ces trois instruments pèsent conjointement sur le niveau des taux d’intérêt de la zone euro à un horizon de plusieurs trimestres. Le niveau extrêmement faible des taux d’intérêt facilite le désendettement et le financement de l’investissement. Il permet aussi de réduire considérablement la facture d’intérêt des états et donc les impôts des contribuables. Un tel niveau de taux, exceptionnellement faible, soutient la reprise économique de la zone euro et un ajustement durable de l’évolution de l’inflation vers des niveaux plus proches de 2% que depuis 2013.
Le découplage des taux courts américains et européens, renforcée depuis l’élection de Donald Trump nous démontre que l’euro permet aux européens d’avoir une politique monétaire adaptée à leur situation macroéconomique à l’abri des soubresauts économiques américains et globaux. C’est une preuve remarquable de souveraineté économique de la zone euro.